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Abstract: In response to Russia's invasion of Ukraine on 24th February 2022, the European Union adopted clear position under its Common Foreign and Security Policy. Yet, the EU has to deal with opposite state policies that illustrate persisting dissensions between its Member States. In the meantime, the international context forces the EU to face up to a new challenge of unity and leads its Member States to take new initiatives. The EU's financial, political and military support to Ukraine is characterized by a strong unity. This is implemented by the ability of the Union to draw on the flexibility allowed by its Treaties and on the initiatives of its Member States. However, the Union's response to Russia's invasion of Ukraine reveals the nuances and limits of its unity.
Keywords: Russo-Ukrainian conflict – European unity – flexibility – EU external action – CFSP/CSDP – Member States’ initiatives.
“Unie dans la diversité”: le motto de l’Union européenne (UE) n’aura jamais eu autant de résonance que depuis le 24 février 2022, date à laquelle la Russie envahissait l’Ukraine. En effet, si l’UE a été confrontée aux divergences politiques de ses États membres, la réponse européenne à l’agression russe est forte et cohérente. Elle traduit l’unité du soutien de l’UE à l’Ukraine dans les domaines financier et économique,[1] politique,[2] humanitaire[3] mais aussi militaire.[4] Cette unité se manifeste à deux égards: d’abord au sein de l’Union elle-même, en tant qu’entité, puis par ses États membres grâce à leurs initiatives coordonnées.
En premier lieu, l’Union a utilisé la flexibilité qui lui est permise par ses Traités fondateurs en matière de prise de décision, pour dépasser les blocages politiques de ses États membres. Ceci s’est illustré, d’une part, à travers l’utilisation du mécanisme d’abstention constructive qui a permis à l’UE d’outrepasser l’exigence d’unanimité requise dans le processus de vote des décisions relevant de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC).[5] En effet, l’art. 31(1) du TUE permet à un État membre de s’abstenir de voter sans pour autant faire obstacle à l’adoption par l’Union de la décision soumise au vote. Or, jamais les États membres n'auront eu autant recours à l’abstention constructive que depuis ces deux dernières années.[6] Le mécanisme a été utilisé par l’Irlande, Malte et l’Autriche en 2022 à propos de la fourniture d’armes létales à l’Ukraine,[7] par la Belgique en 2022 à propos de l’adoption du huitième paquet de sanctions,[8] par la Hongrie en 2022 à propos de l’assistance militaire visant à dispenser une formation aux forces armées ukrainiennes[9] et à nouveau par la Hongrie en 2023 s’agissant des négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne.[10] Ce mécanisme procédural instaure une flexibilité nécessaire pour permettre à l’UE d’agir. Pour autant, les États membres qui se sont abstenus ne sont pas exemptés de leur obligation, en vertu des arts 28 et 29 du TUE, de ne pas adopter de mesures contraires qui entraveraient l’action de l’Union, et restent d’ailleurs tenus dans certains cas de leur obligation positive d’appliquer la décision.[11]
D’autre part, l’unité de l’Union a été mise en lumière par l’adoption de la Facilité pour l’Ukraine.[12] En effet, face au veto persistant de la Hongrie qui faisait obstacle à l’unanimité requise au Conseil européen pour adopter une nouvelle aide financière à l’Ukraine,[13] la mise en œuvre de ce nouvel instrument budgétaire autorise dorénavant la prise de décision à la majorité qualifiée.[14] Plus que l’utilisation de la flexibilité qui lui est permise, l’UE montre ici sa volonté d’agir d’une seule voix en soutien à l’Ukraine, au risque d’écarter celle des États membres récalcitrants dans le processus décisionnel. L’efficacité du mécanisme d’abstention constructive et de ce nouvel outil de financement a ainsi permis à l’UE de mettre en œuvre les moyens techniques dont elle dispose pour répondre à l’invasion russe malgré la diversité politique de ses États membres.
En second lieu, les États membres renforcent l’unité de l’UE en matière de coopération sécuritaire. Certes, l’UE n’a pas hésité à solidifier son autonomie stratégique en matière de sécurité et de défense européenne en adoptant la Boussole stratégique[15] un mois seulement après l’invasion de l’Ukraine. Toutefois, face au blocage du Congrès américain,[16] les initiatives des États membres de l’Union n’ont cessé de s’intensifier. D’une part, dans la lignée de la Facilité pour l’Ukraine et de la Déclaration de soutien à l’Ukraine adoptée par les dirigeants du G7,[17] le Royaume-Uni,[18] l’Allemagne,[19] le Danemark,[20] l’Italie,[21] le Canada,[22] les Pays-Bas[23] et la France[24] ont adopté des accords bilatéraux visant à assurer une coopération d’une durée de dix ans en matière de sécurité avec l’Ukraine. D’autres accords bilatéraux sont en négociation, notamment entre l’Ukraine et l’Espagne[25] et un nouveau pôle de discussion entre la France, l’Allemagne et la Pologne s’organise dans le but de renforcer le soutien occidental à l’Ukraine et de s’assurer de la bonne application des initiatives prises au niveau européen.[26]
D’autre part, l’annonce du Président français à propos de la possibilité d’envoyer des troupes occidentales au sol[27] marque une nouvelle tentative de soutien militaire à l’Ukraine. Mais les vives réactions de ses homologues européens, notamment de la part du Chancelier allemand,[28] laissent apparaître que l’Union préfère rester prudente en matière de sécurité et de défense européenne et que ses États membres se refusent à se voir attribuer le statut de cobelligérants. C’est ici que se trouve la ligne rouge à ne pas dépasser pour l’UE et ses États membres, qui se limitent à soutenir l’Ukraine d’un point de vue essent
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European Papers, Vol. 9, 2024, No 1, European Forum, Highlight of 12 June 2024, pp. 117-120
ISSN 2499-8249 - doi: 10.15166/2499-8249/746
*Doctorante en droit international public, Université de Lille, ludivine.luc@univ-lille.fr.
[1] Règlement (UE) 2024/792 du Parlement européen et du Conseil du 29 février 2024 établissant la facilité pour l’Ukraine; Décision (UE) 2022/1201 du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2022 accordant une assistance macrofinancière exceptionnelle à l’Ukraine; Règlement (UE) 2023/1077 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif aux mesures de libéralisation temporaire des échanges en complément des concessions commerciales applicables aux produits ukrainiens au titre de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et l’Ukraine, d’autre part.
[2] À ce jour, l’UE a adopté treize trains de mesures restrictives depuis février 2022. Voy. pour le plus récent, le règlement (UE) 2024/745 du Conseil du 23 février 2024 modifiant le règlement (UE) 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine.
[3] Décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire; Accord entre l’Union européenne et la République de Moldavie concernant les activités opérationnelles menées par l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes en République de Moldavie.
[4] Décision (PESC) 2022/1968 du 17 octobre 2022 relative à une mission d’assistance militaire de l’Union européenne en soutien à l’Ukraine (EUMAM Ukraine); Décision (PESC) 2022/338 du Conseil du 28 février 2022 relative à une mesure d’assistance au titre de la facilité européenne pour la paix en vue de la fourniture aux forces armées ukrainiennes d’équipements et de plateformes militaires conçus pour libérer une force létale.
[5] Art. 31(1) du TUE.
[6] Historiquement, l’abstention constructive a été très peu utilisée. Voy. ME Bartoloni, ‘Simple Abstention and Constructive Abstention in the Context of International Economic Sanctions: Two Too Similar Sides of the Same Coin?’ Europeans Papers (European Forum Insight of 4 February 2023) www.europeanpapers.eu 1121.
[7] Décision (PESC) 2022/338 du Conseil du 28 février 2022 relative à une mesure d’assistance au titre de la Facilité européenne pour la paix en vue de la fourniture aux forces armées ukrainiennes d’équipements et de plateformes militaires conçus pour libérer une force létale.
[8] La Belgique était opposée à restreindre le commerce des diamants russes, mais elle a finalement trouvé un terrain d’entente avec l’UE. Voy. le discours prononcé par le Premier ministre belge Alexander De Croo le 27 janvier 2023: www.premier.be.
[9] Décision (PESC) 2022/1968 du 17 octobre 2022 relative à une mission d’assistance militaire de l’Union européenne en soutien à l’Ukraine (EUMAM Ukraine).
[10] Voy. le discours d’Emmanuel Macron à l’issue du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023: www.elysee.fr.
[11] Tel est le cas lorsque l’exécution de la décision à laquelle l’État s’est abstenu relève des compétences exclusives et partagées. Voy. C. Beaucillon, ‘La coopération loyale et la PESC’, in M Fartunova-Michel et JF Delile, La coopération loyale dans le droit des relations extérieures de l’Union européenne (Bruylant 2023) 220.
[12] Règlement (UE) 2024/792 du Parlement européen et du Conseil du 29 février 2024 établissant la facilité pour l’Ukraine.
[13] Viktor Orbán a fait usage de son droit de veto lors du Sommet européen des 14 et 15 décembre 2023. Voy. ‘Le veto de la Hongrie sur l’aide à l’Ukraine irrite l’Union européenne’ (31 janvier 2024) Euronews fr.euronews.com.
[14] Art. 19(1) du Règlement (UE) 2024/792 cit.
[15] Une boussole stratégique en matière de sécurité et de défense – Pour une Union européenne qui protège ses citoyens, ses valeurs et ses intérêts, et qui contribue à la paix et à la sécurité internationales, adoptée par le Conseil de l’UE le 21 mars 2022, 7371/22. Voy. les contributions in C Beaucillon et S Poli, ‘Special Focus on EU Strategic Autonomy and Technological Sovereignty: An Introduction’ European Papers (European Forum Insight of 27 juillet 2023) www.europeanpapers.eu 411.
[16] Ukraine Security Supplemental Appropriations Act, H.R.8035, 2024. Le projet de loi visant à octroyer une nouvelle aide financière à l’Ukraine a finalement été adopté à la Chambre des représentants le 20 avril 2024 et est maintenant soumise au Sénat, qui devrait l’adopter rapidement au regard de sa majorité démocrate et de sa pratique ultérieure.
[17] G7, Déclaration commune de soutien à l’Ukraine, 12 juillet 2023. Celle-ci a été approuvée le 16 février 2024 par vingt-cinq autres États le 16 février 2024.
[18] Agreement on security co-operation between the United Kingdom of Great-Britain & Northern Ireland and Ukraine (12 janvier 2024) assets.publishing.service.gov.uk.
[19] Agreement on security cooperation and long-term support between the Federal Republic of Germany and Ukraine (16 janvier 2024) www.bundesregierung.de.
[20] Agreement on security cooperation and long-term support between Denmark and Ukraine (23 février 2024) www.stm.dk.
[21] Agreement on security cooperation between Italy and Ukraine (24 février 2024) www.governo.it.
[22] Agreement on security co-operation between the United Kingdom of Great-Britain & Northern Ireland and Ukraine (24 February 2024) www.international.gc.ca.
[23] Agreement on security cooperation between the Netherlands and Ukraine (1er mars 2024) www.government.nl.
[24] Accord de coopération en matière de sécurité entre la France et l'Ukraine (16 mars 2024) www.elysee.fr. En application de l’article 50-1 de la Constitution française, la déclaration du gouvernement à propos de cet Accord a fait l’objet d’un débat et d’un vote à l’Assemblée nationale et au Sénat, et a recueilli une large majorité: 372 voix contre 99 à l’Assemblée nationale, et 293 voix contre 22 au Sénat.
[25] Président de l’Ukraine, ‘Ukraine has started negotiations with Spain on the conclusion of a bilateral security agreement’ (4 mars 2024) www.president.gov.ua.
[26] Un nouveau sommet du triangle de Weimar devrait avoir lieu en Pologne avant l’été 2024, voy. le discours d’Emmanuel Macron à l’occasion de son déplacement à Berlin le 15 mars 2024: www.elysee.fr.
[27] Voy. le discours d’Emmanuel Macron du 27 février 2024, à l’issue de la Conférence de soutien à l’Ukraine: www.elysee.fr.
[28] Voy. le discours d’Olaf Scholz en marge d’un déplacement à Fribourg-en-Brisgau le 27 février 2024. Voy. E-A Martin, ‘Simple friction franco-allemande ou faille stratégique au sujet de l’Ukraine ?’ (21 mars 2024) Institut français des relations internationales www.ifri.org.