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Abstract: Approved at the end of an arduous legislative procedure, the reform of the Statute of the Court of Justice of the European Union both surprises and puzzles (Regulation (EU, Euratom) 2015/2422 of the European Parliament and of the Council of 16 December 2015 amending Protocol No 3). Conceived to resolve the growing overload of the General Court, this reform ambitioned to “allow for a reduction within a short time of both the volume of pending cases and the excessive duration of proceedings”. If this aim seems within reach considering the increase of resources allocated to the General Court, it remains regrettable that this reform took so little into account the general architecture of the Union’s Court System. This flaw might, in the near future, put in jeopardy the very interest of this reform.
Keywords: General Court – Protocol No 3 – reform of the Statute of the Court of Justice of the European Union – duration of proceedings – judges.
I. Introduction
Adoptée au terme d’un difficile processus législatif, la réforme du statut de la Cour de justice surprend autant qu’elle laisse perplexe. Conçue pour faire face à l’encombrement croissant du Tribunal, la réforme avait pour ambition affichée “de réduire, à bref délai, tant le volume des affaires pendantes que la durée excessive des procédures”.[1] Si cet objectif semble réalisable au vu de l’augmentation des moyens alloués au Tribunal, on ne peut que regretter que la réforme tienne si peu compte de l’architecture générale de l’institution judiciaire de l’Union. Ce défaut pourrait, à brève échéance, mettre en cause tout l’intérêt de cette réforme.
Le règlement (UE, Euratom) 2015/2422 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 modifiant le protocole n. 3 sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne est le résultat d’un long processus initié par deux demandes de la Cour de justice, adressées à la Commission en date du 28 mars 2011.[2] Face aux difficultés soulevées par ces demandes, il fut finalement décidé de scinder la réforme en deux procédures législatives distinctes. Ainsi la plupart des suggestions de la Cour furent satisfaites par l’adoption du règlement (UE, Euratom) 741/2012 du Parlement européen et du Conseil du 11 août 2012 modifiant le protocole sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et son Annexe I.
Restait alors à traiter une demande spécifique de la Cour, laquelle concentra très rapidement l’opposition entre les institutions: l’augmentation des effectifs au Tribunal et au Tribunal de la fonction publique de respectivement douze et trois juges.[3] L’objectif était ici de faire face de manière urgente à l’augmentation continue de la charge de travail de cette juridiction. Dans son avis, la Commission se rangea à la position de la Cour de justice.[4] La Commission des affaires juridiques du Parlement européen accepta le principe de l’augmentation du nombre de juges au Tribunal. Cependant des difficultés émergèrent sur les critères de désignations des nouveaux juges. Alors que la Commission proposait un mécanisme de rotation égalitaire entre Etats membres, le Parlement proposa une nomination indépendante de l’État membre d’origine des candidats.[5]
Cette proposition fut rejetée par le Conseil lequel proposa le doublement des juges au Tribunal, partiellement par l’absorption du Tribunal de la fonction publique, partiellement par la nomination en plusieurs étapes de nouveaux juges.[6] Au terme d’une seconde lecture devant le Parlement, le projet du Conseil fut finalement adopté dans son principe le 28 octobre 2015.[7] La Proposition du Parlement en seconde lecture fut adoptée en l’état par le Conseil le 3 décembre 2015 conformément à l’art. 294, para. 8, sous a), du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Conformément à son art. 4, le règlement (UE, Euratom) 2015/2422 est entré en vigueur le 25 décembre 2015, soit presque quatre ans et neuf mois après que la procédure visant à son adoption a été initiée.
Ce délai témoigne en soi des difficultés politiques considérables soulevées par cette réforme, notamment pour les Etats membres, tous s’attachant au principe de parité au sein des juridictions de l’Union. Produit d’un compromis très éloigné des demandes originelles de la Cour de justice, cette réforme soulève d’importantes interrogations, lesquelles impliquent de revenir dans un premier temps sur les causes de cette réforme (I) avant de s’interroger sur ses effets (II).
II. La nécessité d’une réforme: les insuffisances du ‘schéma de Nice’
L’adoption du traité de Nice fut l’occasion d’une réforme extrêmement importante du système juridictionnel européen. Cependant cette réforme ne parvînt que très imparfaitement à remplir l’objectif qui lui était fixé (1). De surcroît, l’introduction d’un troisième degré de juridiction entraîna des difficultés organiques importantes (2).
II.1. Genèse et insuffisances de la réforme de Nice
Depuis les années quatre-vingt, l’encombrement progressif des juridictions est une préoccupation constante du constituant européen. La création du Tribunal suite à l’adoption de l’Acte unique européen apporta provisoirement une solution à ce problème; solution qui devînt rapidement inefficace eu égard à l’augmentation du nombre d’Etats membres, ainsi que à l’extension des compétences de la Communauté. Ainsi, dès 1995, la Cour de justice attira l’attention des Etats membres sur la nécessité de réformer le fonctionnement de l’institution.[8] Il fallut cependant attendre après l’adoption du traité d’Amsterdam pour que cette question soit tranchée. Sous la direction d’Ole Due, ancien président de Cour de justice, un groupe au sein de la Commission proposa une réforme en deux axes.[9] Premièrement, la répartition des compétences entre la Cour et le Tribunal devait être modifiée notamment par le transfert d’une partie de la charge de la première vers le second. Deuxièmement des chambres spécialisées devaient être créées pour traiter en première instance de certains contentieux spécialisés. Au cours de la négociation du traité de Nice, la Cour de justice adressa une contribution à la conférence intergouvernementale en grande partie inspirée du rapport Due.[10]
Le traité de Nice reprit une grande partie de ces propositions. Comme ne manquèrent pas de le relever les commentaires de l’époque, la réforme était urgente.[11] Entre 1995 et 2000 le nombre d’affaires introduites devant la Cour de justice était passé de 408 à 503, soit une augmentation de 23,3 pour cent. Sur la même période, les affaires introduites devant le Tribunal étaient passées de 221 à 398, soit une augmentation de 80,1 pour cent. En 2000, la durée moyenne d’une procédure devant la Cour de justice était de 23,9 mois pour un recours direct et de 19 mois pour un pourvoi, tandis que la durée moyenne des procédures devant le Tribunal était de 27,5 mois, à l’exclusion des procédures en matière de fonction publique et de propriété intellectuelle.[12]
Cependant, pour nécessaire qu’elle fût, cette réforme souleva rapidement d’abondantes critiques, notamment eu égard à son caractère plus programmatique qu’opérationnel. En effet les réformes devaient “prendre corps peu à peu sans pour autant qu’un délai n’ait été fixé à cet égard. Les traités évoquent les objectifs qui peuvent être atteints, mais n’introduisent aucun changement réel, se contentant de différer sine die les modifications qui doivent être apportées”.[13] En effet, la réforme n’opéra principalement que des allègements de procédure et ouvrit la possibilité d’une révision simplifiée des traités visant à augmenter le nombre de juges au Tribunal. Pour le reste la répartition des compétences entre la Cour et le Tribunal ne fut que peu modifiée, sauf pour la possibilité de créer des juridictions spécialisées, et aucune compétence préjudicielle ne fut accordée au Tribunal.
Insuffisante tant dans son principe que son application, la réforme opérée par le traité de Nice se heurta rapidement à la réalité. Si le nombre d’affaires introduites devant la Cour de justice tendait à rester stable sur la période 2000-2005 (avec toutefois d’importante variations annuelles), le nombre d’affaires introduites devant le Tribunal passa sur la même période de 398 à 469, soit une augmentation de près de 18 pour cent.[14] Entre 2006 et 2010, les demandes devant la Cour de justice passèrent de 537 à 631, augmentant donc de 17,5 pour cent tandis que le nombre d’affaires introduites devant le Tribunal passait de 432 à 636, soit une augmentation de 47,2 pour cent et ce malgré la mise en place du Tribunal de la fonction publique.[15] En 2011, le nombre d’affaires introduites devant la Cour et le Tribunal était encore en augmentation, tout comme les délais de jugement,[16] rendant une nouvelle réforme nécessaire.
II.2. Le problème organique créé par la réforme du traité de Nice
L’un des principaux axes de la réforme du traité de Nice était la création des tribunaux spécialisés dont l’objectif était de délester le Tribunal d’un certain nombre de contentieux répétitifs ou chronophages.[17] Les rédacteurs des traités se trouvèrent alors face à un dilemme. Une première hypothèse voulait que les décisions du Tribunal, rendues sur recours contre une décision d’un tribunal spécialisé, puissent faire l’objet d’un recours devant la Cour de justice, entrainant la création d’un troisième degré de juridiction et donc le risque d’alourdir la charge du travail des juridictions. Une seconde hypothèse voulait que le Tribunal statue en dernier ressort sur les recours intentés contre ces décisions. Se posait alors la question de la préservation de l’unité et de la cohérence du droit de l’Union eût égard à la possibilité offerte au Tribunal de développer une jurisprudence indépendante et potentiellement contradictoire avec celle de la Cour de justice. Pris entre deux maux, le constituant opta pour une solution de compromis originale en instituant la procédure de réexamen prévue à l’art. 256 TFUE. Procédure “baroque”,[18] le réexamen est un mécanisme exceptionnel d’auto-saisine de la Cour au travers du premier avocat général et visant à rectifier une jurisprudence du Tribunal lorsque celle-ci porte spécifiquement atteinte à l’unité et à la cohérence du droit de l’Union. Le principe choisi était donc celui d’un Tribunal juge de dernière instance, avec exceptionnellement la possibilité d’une intervention de la Cour de justice.
Pour intéressante qu’elle fut en théorie, cette solution s’avéra difficile à mettre en pratique. D’une part, la création des juridictions spécialisées s’avéra loin d’être aisée. Seul le Tribunal de la fonction publique fut mis en place. D’autre part, si le traité de Nice avait bien fixé les principes gouvernant le réexamen, les modalités pratiques restaient à définir. Là encore, les difficultés furent nombreuses. La proposition de modification du statut de la Cour de 2003[19] n’aboutit que deux ans plus tard.[20] Les modifications nécessaires du règlement de procédure ne furent quant à elles adoptées qu’en 2008.[21] Avant même sa première application la doctrine avait exprimé des doutes sur cette procédure particulièrement lourde et complexe.[22] En se fondant sur une comparaison avec le pourvoi, certains auteurs n’avaient pas manqué de remarquer, dès les premières utilisations, que la procédure était inutilement coûteuse en temps et en ressources.[23] Plusieurs modifications successives furent nécessaires pour rendre le mécanisme plus opérationnel, au point qu’en 2014 on avait pu noter que le réexamen avait “la double particularité d’être une procédure qui, d’une part a fait l’objet de plus de réformes que d’utilisations, et d’autre part a soulevé plus de questions qu’elle n’en a résolues”.[24]
La réforme opérée par le règlement 2015/2422 épargnera à l’avenir cette difficulté. En effet, dans son considérant 9, ce règlement dispose qu’en septembre 2016 “la compétence pour connaître en première instance des affaires de la fonction publique de l’Union européenne ainsi que les sept postes des juges siégeant au Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (…) devraient être transférés au Tribunal” actant la disparition des juridictions spécialisées et de l’unique hypothèse de réexamen existant à l’heure actuelle.
III. Une réforme nécessaire mais insuffisante
Si l’on peut saluer le renforcement des effectifs du Tribunal et la précision apportée au processus de sélection des juges (1), on ne peut que regretter une réforme a minima loin d’apporter une solution au problème d’ensemble (2).
III.1. Les avancées de la réforme
La principale avancée de la réforme est le renforcement significatif des effectifs du Tribunal, le nombre de juges étant en définitive porté à “deux juges par État membre à partir du 1er septembre 2019” conformément à l’art. 1, sous 2), du règlement 2015/2422. Cette augmentation se fera en trois étapes. Dans un premier temps, le législateur a traité l’urgence. Comme le relève justement le considérant 5, “[l]e recours à la possibilité, prévue par les traités, d’augmenter le nombre de juges du Tribunal permettrait de réduire, à bref délai, tant le volume des affaires pendantes que la durée excessive des procédures”. Le considérant 8 précise d’ailleurs que “[a]fin de résorber rapidement l’arriéré judiciaire, douze juges supplémentaires devraient entrer en fonction dès l’entrée en vigueur du présent règlement”. Au terme de l’art. 1, sous 2), du règlement, le nouvel art. 48 du statut dispose ainsi que “[l]e Tribunal est formé de: a) quarante juges à partir du 25 décembre 2015”. Il s’agit ici de la partie de la réforme la plus conforme à la proposition initiale de la Cour de justice. En effet, l’augmentation partielle visait, indépendamment de toute réforme structurelle de l’institution, à résorber dans l’urgence l’engorgement du Tribunal. En 2014, le Tribunal disposait d’un stock de plus 1423 affaires en attente de jugement, avec une tendance à la hausse depuis plusieurs années.[25]
Dans un deuxième temps, cette augmentation sera suivie d’une autre. En effet, le nouvel art. 48 du statut dispose que “[l]e Tribunal est formé de: (…) b) quarante-sept juges à partir du 1er septembre 2016”. Cette augmentation correspond à l’absorption du Tribunal de la fonction publique. Enfin une troisième augmentation est prévue pour 2019, le nouvel article 48 du statut disposant que “[l]e Tribunal est formé de: (…) c) deux juges par État membre à partir du 1er septembre 2019”. Sauf évolution du nombre d’Etats membres, neuf nouveaux juges seront en principe nommés. On notera que ces derniers juges ne recevront pas un aussi bon traitement que leur collègue. Le considérant 10 prévoit en effet que “[a]fin de garantir un bon rapport coût/efficacité, aucun référendaire supplémentaire ou autre agent auxiliaire ne devrait être recruté à cette occasion”. Certes, le même considérant prévoit que “[d]es mesures de réorganisation interne au sein de l’institution devraient garantir une utilisation efficace des ressources humaines existantes, qui devraient être les mêmes pour tous les juges, sans préjudice des décisions prises par le Tribunal au sujet de son organisation interne”. La raison derrière cette décision est simple: le coût d’un nouveau juge pourvu d’une équipe complète, estimé en 2012 à un million d’euros par an.[26]
Ces augmentations successives sont organisées par l’art. 2 du règlement, lequel n’est pas un modèle de clarté ou de simplicité. L’idée essentielle est de fondre ces renouvellements les uns dans les autres et plus généralement dans le renouvellement des juges déjà en fonction. L’objectif semble être la création d’une sorte de fondu enchaîné où les Etats membres arriveront à terme à proposer leurs deux juges lors du même renouvellement partiel. Pour cela, une partie des nouveaux juges sera nommée pour des mandats partiels, qui prendront fin au renouvellement partiel suivant. Ainsi, six des douze juges nommés à partir de décembre 2015 ne le seront que pour un mandant courant jusqu’à fin août 2016, date à laquelle seront absorbés les juges anciennement en poste au Tribunal de la fonction publique.[27] Il est probable que, conformément aux pratiques traditionnelles des organes juridictionnels de l’Union, ces juges nommés pour un mandat très partiel seront renouvelés dans leurs fonctions.
Le règlement 2015/2422 introduit deux nouveautés dans la procédure de nomination des juges qui méritent d’être relevées. En premier lieu, selon le considérant 7, “[l]e comité visé à l’article 255 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne tient notamment compte de l’indépendance, de l’impartialité, de la compétence, ainsi que de l’aptitude professionnelle et personnelle des candidats”. Ces critères ne sont pas nouveaux en soit, le comité 255 lui-même ayant défini des critères semblables. Il semble cependant que le règlement 2015/2422 soit la première occurrence de tels critères qualitatifs dans le droit positif de l’Union, ce qui constitue un ajout appréciable eu égard à l’importance des décisions de justice dans le fonctionnement de l’Union. Autre nouveauté, la référence au principe de parité. En effet selon le considérant 11, “[i]l est essentiel que la parité hommes-femmes soit respectée au sein du Tribunal. Afin d’atteindre cet objectif, il convient d’organiser les renouvellements partiels du Tribunal de telle sorte que les gouvernements des États membres commencent progressivement à proposer deux juges lors du même renouvellement partiel, dans le but de choisir une femme et un homme”. L’affirmation du principe n’est en effet pas superflue et pourrait être étendu à la Cour de justice elle-même. A l’heure où était adopté le règlement 2015/2422, sur 39 membres de la Cour de justice (juges, avocats généraux et greffier), seuls sept étaient des femmes.
Quant au Tribunal, il ne compte actuellement que six femmes sur 28 juges.
III.2. Une réforme a minima
Au-delà de ces avancées, cette réforme donne la regrettable impression d’un compromis bâclé, lequel néglige gravement la difficulté d’ensemble de l’institution en ne se penchant que sur le cas du seul Tribunal. Dans le cadre des traités, d’autres solutions étaient pourtant possibles.
Le règlement 2015/2422 est le fruit d’un long processus d’adoption, marqué par des oppositions importantes. En effet la demande originelle de la Cour de justice d’augmenter de douze juges les effectifs du Tribunal allait se heurter au principe codifié depuis le traité de Nice d’une représentation paritaire dans les organes juridictionnels.[28] Confrontée à une situation de blocage, la Cour justice a dû se résoudre à un expédient. Ainsi que l’a récemment reconnu le juge Bonichot, “[c]e qu’a proposé la Cour après l’échec de sa première proposition est, j’en suis convaincu (…) non pas la meilleure, mais la seule solution viable”.[29] Il est cependant permis de s’interroger sur le caractère viable de cette réforme à terme, non pas vis-à-vis du seul Tribunal, mais de l’ensemble de l’institution.
En effet le doublement du nombre de juge permettra une amélioration sensible du Travail de cette juridiction, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. La création de chambres supplémentaires permettra de décharger les juges, lesquels pourront accorder plus de soins à chaque décision tout en diminuant de manière globale les délais de jugement. A cela s’ajoute la probabilité plus grande d’un recours à l’article 49 du statut. Cependant, les gains effectués au niveau du Tribunal risquent d’être annulés par l’augmentation de la charge de travail que la réforme impose à la Cour de justice. Hors de tout renforcement de ses effectifs, la Cour va se voir transférer la compétence de pourvoi en matière de fonction publique, outre l’augmentation naturelle du nombre d’affaires. Certes, les modifications du fonctionnement interne de la Cour semblent avoir eu des effets, notamment avec une tendance à la diminution des délais de jugement en recours préjudiciel et du stock d’affaires, conjugué avec une baisse des affaires introduites sur l’année 2014.[30] On peut cependant douter que ces bons chiffres perdurent longtemps. En matière de recours directs et de pourvois les délais de jugement restent à la hausse sur la période 2010-2014. Ainsi, le goulot d’étranglement risque, d’ici à quelques années, de se déplacer du Tribunal à la Cour de justice dont la réforme sera beaucoup plus difficile. Outre que les difficultés politiques déjà ressenties pour la réforme du Tribunal sont les mêmes et seront d’avantage exacerbées, sa composition ne peut pas être modifiée par une procédure simplifiée.
Il est alors permis de se demander si la réforme n’aurait pas gagné à user d’avantage des possibilités offertes par la réforme de Nice.
Ainsi que le précise le considérant 4 du règlement 2015/2422, la possibilité offerte par l’art. 257 TFUE de créer des juridictions spécialisées n’a pas été utilisée. Il s’agit d’une constante au cours de cette réforme et cela se comprend pour plusieurs raisons. D’une part, lorsque la Cour de justice introduit une demande en 2011, elle cherche à parer au plus pressé; l’augmentation du nombre de juges peut-être rapidement effectuée, contrairement à la mise en place d’une juridiction spécialisée. D’autre part, la création d’une juridiction spécialisée est coûteuse, l’hypothèse aurait été mal venue en 2011, moment de fortes tensions entre les institutions sur les questions budgétaires. Enfin force est d’admettre que le système des tribunaux spécialisés souffre de sérieux défauts. Outre leur coût et les inconvénients déjà relevés relatifs à la procédure de réexamen, il convient de reconnaitre que les tribunaux spécialisés introduisent un important facteur de rigidité dans l’ordre juridictionnel de l’Union. En effet, il est presque impossible d’adapter le fonctionnement de ces juridictions en cas de diminution de leurs activités.
Ces difficultés sont réelles, mais ne semblent pas insurmontables. Nous nous contenterons de proposer quelques éléments de réflexions ici.
Concernant le critère de la rigidité, la difficulté vient peut-être du fait que la seule expérience tentée à ce jour, le Tribunal de fonction publique, avait un périmètre de compétence trop restreint. La notion de juridiction “spécialisée” semble être comprise comme nécessairement en référence aux catégories établies par l’institution pour classer les différentes affaires. Les textes n’indiquent pourtant rien de tel. Ainsi, au lieu d’envisager, à titre d’exemple, d’un côté un tribunal spécialisé en matière de concurrence et un autre en matière de dumping, il serait possible d’envisager un tribunal spécialisé en matière économique. Ce tribunal spécialisé élargi permettrait d’envisager le redéploiement d’une partie de son effectif affecté à une des spécialités à une autre en cas de baisse ponctuelle d’affaires. En atteignant ainsi une certaine masse critique, il serait alors sans doute possible de gérer de manière plus harmonieuse les postes de juges. Certes, la création d’une juridiction spécialisée ne décharge pas complètement le Tribunal, lequel devient juge de pourvoi. Cependant ce mécanisme entraine une diminution considérable des affaires à traiter dans une spécialité. En effet, à titre d’exemple, seules 20% des affaires de droit des marques font l’objet d’un pourvoi.[31] Le nombre d’affaire diminue donc par cinq devant la juridiction supérieure.
Cependant, c’est au niveau de la Cour de justice qu’une telle réforme deviendrait la plus intéressante. L’intérêt ici est double. D’une part la Cour n’aurait plus à se prononcer qu’à titre exceptionnel sur des catégories entières de recours directs, laissant au Tribunal la compétence de principe. D’autre part la Cour pourrait se dessaisir d’une partie de sa compétence préjudicielle en faveur du Tribunal. Telle possibilité n’a jamais été utilisée à l’heure et cela se comprend: cela n’aurait pas eu de sens. En effet, on sait que dans l’affaire Petrilli la Cour de justice a reconnu au Tribunal la possibilité de développer une jurisprudence innovante par rapport à celle de la Cour lorsque le Tribunal statue “en sa qualité de juge du pourvoi”.[32] Or jusqu’à présent le Tribunal n’avait pas de compétence de pourvoi dans une matière susceptible de donner lieu à un renvoi préjudiciel. Bien sûr, restent les avantages inhérents au réexamen. A nouveau, ceux-ci semblent être surmontables. Les différentes améliorations de la procédure ont déjà prouvé qu’il était possible de la simplifier afin de faire d’importantes économies de temps et de moyens. C’est vraisemblablement encore le cas.
IV. Conclusion
Si la réforme introduite par le règlement 2015/2422 n’est pas inutile, elle semble en revanche très insuffisante. La solution aux difficultés du seul Tribunal se fait en hypothéquant l’ensemble de l’institution alors que le droit primaire offrait des alternatives méritant d’être d’avantage explorées. Certes, un retour aux mécanismes introduits par le traité de Nice ne se feraient pas sans difficultés, ni sans modifications et améliorations considérables. Force est cependant de constater que le schéma de Nice avait une logique d’ensemble faisant défaut au règlement 2015/2422.
En l’état, il semble presque inévitable que le législateur ait à se pencher à nouveau – et à moyenne échéance – sur le fonctionnement de la Cour de Justice. Espérons que cette fois les différents acteurs de la réforme anticiperont suffisamment pour permettre une réforme systématique et d’ampleur.
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European Papers, Vol. 1, 2016, No 1, European Forum, Insight of 16 April 2016, pp. 275-285
ISSN 2499-8249 - doi: 10.15166/2499-8249/23
* Doctorant, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, romain.rousselot@malix.univ-paris1.fr.
[1] Considérant 5 du Règlement (UE, Euratom) 2015/2422 du Parlement européen et du Conseil modifiant le protocole n. 3 sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
[2] Para. 1 de l’Avis COM(2011) 596 final de la Commission sur les demandes de modification du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, présentées par la Cour.
[3] Paras 4 et 5, Avis COM(2011) 596 final.
[4] Ivi, para. 29.
[5] Amendements (02074/2011–C7-0126/2012–2011/0901B(COD)) du Parlement européen, adoptés le 12 décembre 2013, au projet de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le protocole sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne en vue d’augmenter le nombre de juges du Tribunal.
[6] Position (UE) 11/2015 du Conseil en première lecture en vue de l’adoption d’un règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le protocole n. 3 sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
[7] Considérant 11 de la Position (P8_TA(2015)0377) du Parlement européen arrêtée en deuxième lecture le 28 octobre 2015 en vue de l’adoption du règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le protocole n. 3 sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
[8] Rapport de la Cour de justice des Communautés européennes, mai 1995, para. 15.
[9] Rapport du groupe de réflexion sur l’avenir du système juridictionnel des Communautés européennes, janvier 2000.
[10] Contribution de la Cour de justice et du Tribunal de première Instance à la Conférence intergouvernemental, 28 février 2000.
[11] D. Simon, A. Rigaux, La réforme du système juridictionnel communautaire: Bilan et perspectives, in V. Constantinesco, Y. Gautier, D. Simon (dir.), Le traité de Nice: premières analyses, Strasbourg: Presses Universitaires de Strasbourg, 2001, p. 133 et seq.
[12] Ibid.
[13] D. Ruiz-Jarabo Colomer, La réforme de la Cour de justice opérée par le traité de Nice et sa mise en œuvre future, in Revue trimestrielle de droit européen, 2001, p. 707.
[14] Rapport annuel 2005 de la Cour de justice des Communautés européennes, Aperçu des travaux de la Cour de justice et du Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes, p. 223.
[15] Rapport annuel 2010 de la Cour de justice de l’Union européenne, Aperçu des travaux de la Cour de justice, du Tribunal et du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne, pp. 87 et 181.
[16] Rapport annuel 2011 de la Cour de justice de l’Union européenne, Aperçu des travaux de la Cour de justice, du Tribunal et du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne, pp. 97 et 195.
[17] Art. 257, para. 3, TFUE, ex art. 225 A, para. 3, du traité instituant la Communauté européenne (TCE).
[18] D. Ruiz-Jarabo Colomer, La réforme de la Cour de justice opérée par le traité de Nice et sa mise en œuvre future, cit., p. 714.
[19] Projet de décision n. 12464/03 du Conseil modifiant le protocole sur le statut de la Cour de justice visant à fixer les conditions et limites pour le réexamen par la Cour de justice des décisions rendues par le Tribunal de première instance du 12 septembre 2003.
[20] Décision 2005/696/CE Euratom du Conseil portant modification du protocole sur le statut de la Cour de justice, visant à fixer les conditions et limites pour le réexamen par la Cour de justice des décisions rendues par le Tribunal de première instance.
[21] Modifications du règlement de procédure de la Cour de justice du 8 juillet 2008, et Décision 2008/621/CE, Euratom du Conseil, portant modification du règlement de procédure de la Cour de justice des Communautés européennes en ce qui concerne le régime linguistique applicable à la procédure de réexamen.
[22] Notamment C. Fardet, Le réexamen des décisions du Tribunal de première instance, in Revue du Marché commun et de l’Union européenne, 2004, p. 184 et seq.; H. Jung, Une nouvelle procédure devant la Cour: le réexamen, in E. Barbier de la Serre, C. Baudenbacher, E. Coulon, C. Gulmann, K. Lenaerts (dir.), Liber Amicorum en l’honneur de Bo Vesterdorf, Bruxelles: Bruylant, 2007, p. 191 et seq.
[23] Notamment I. Pingel, La procédure de réexamen en droit de l’Union européenne, in Revue de l’Union européenne, 2011, p. 532 et seq.
[24] R. Rousselot, La procédure de réexamen en droit de l’Union européenne, in Cahiers de droit européen, 2014, p. 594.
[25] Rapport annuel 2014 de la Cour de justice de l’Union européenne, Aperçu des travaux de la Cour de justice, du Tribunal et du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne, p. 184. On note toutefois une tendance générale à la baisse des délais de jugement, ivi, p. 192.
[26] Rapport 02074/2011-C7-0126/2012–2011/0901B(COD) sur le projet de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le protocole sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne en vue d’augmenter le nombre de juges du Tribunal du 10 juillet 2013.
[27] Art. 2, sous a), du règlement 2015/2422.
[28] Ce principe avait subits une exception avec le Tribunal de la fonction publique. Les enjeux étaient cependant très différents, celui-ci jugeant de contentieux internes aux institutions et sous contrôle du Tribunal.
[29] J.-C. Bonichot, D. Simon, Comment «mettre le système juridictionnel de l’Union en ordre de bataille pour les années à venir»?, in Europe, 2015, n. 6, entretien 1.
[30] Rapport annuel 2014 de la Cour de justice, cit., pp. 97 et 112.
[31] J.-C. Bonichot, D. Simon, Comment «mettre le système juridictionnel de l’Union en ordre de bataille pour les années à venir»?, cit.
[32] Cour de justice, décision du 8 février 2011, affaire C-17/11 RX, Commission c. Petrilli, para. 4.